Mes os se dressent, ils poussent sur mes chairs. Je sens mes genoux partir en arrière, ils m'entraînent dans leur mouvement et je tombe à quatre pattes. Mes muscles se gonflent alors que les tendons de mes jambes s’étirent et se contorsionnent. Mes os transpercent ma peau et ça me donne envie de crier d'exaltation. Je trouve une jouissance nouvelle dans cette métamorphose, quelque chose de la rage, du surplus d’émotion qui me fait bouillonner. Je voudrais courir à en cracher par terre, faire plusieurs fois le tour le la terre et ne m’arrêter qu’au point de rupture de mon corps. Et je crie. J’hurle si fort qu’on m’entendra encore dans dix ans. Et même dans cent ans. On m’entendra encore dans un millénaire. Je veux me retrouver hors du temps et hors de l’espace. Vivre à côté. Dans cet espace-temps confortable mes os continueront à sortir de mon corps, mes côtes se rejoindront devant mon abdomen, mon coccyx s’allongera entre mes fesse rendant à mon dos son allure de primate. De mon crâne pousseront des cornes et de ma mâchoire des sabres. Et ça continuera, comme ça, et ça ne s’arrêtera pas. Mon sexe change, il s’allonge, s’affine, mais il est là. Même si je veux être à côté du temps, à côté des gens, je suis encore là. Mon corps, même dépouillés de ses attributs humain·e·xs, subit encore les regards. Alors jusqu’à ce que je sois hors du temps et hors de l’espace, mon corps continuera à muter à la recherche de cet espace-temps confortable. Ma peau picote. De mes pores sortent de petits couteaux qui se déploient sur ma peau. Je soupire de soulagement. Bientôt enfin la nuit couvrira ma présence, étouffera les regards. Comme absorbant la lumière, mes nouvelles plumes nappent mon corps des couleurs du crépuscule. Leur duvet délicat me caresse les jambes. Mes cheveux poussent, lentement. Ils changent de texture, se divisent, s'en branchent et se mêlent à mon plumage. Je savoure leur sensation satinée, délicieuses caresses sur mon visage. Mes pieds s’allongent, mes talons se décollent du sol. Je ne me suis jamais senti·e plus bel·aux. Élancé·e, perché·e sur mes orteils devenus fourchus, j'admire mon nouveau corps. Dans le secret de la nuit ma présence devient fantomatique et je m’envole. Mon corps est toujours en mutation. Je plane en silence. Je pars à la recherche d’autres monstres exquis·es, d'ogre·sses à plumes, d'élégant·es titan·nes et de bêtes en mutation. Quand je ferme les yeux j’entend les liquides de mon corps circuler. Je me roule en boule, j’ai l’impression de fondre en moi-même. Ma salive déborde de ma bouche, elle coule abondamment. Je sens l’écume qui remonte dans ma gorge napper mon corps. Bercé·e, au chaud, je baigne dans mon liquide amniotique. J’y reste des années. Peut-être des siècles. Je me réjouis du monde qui ne m’entoure plus. Ce temps pourrait durer encore des millénaires. Et pourtant ça me démange. Je finis par tendre un bras. Je rencontre une paroi. Je pousse. Elle s’étend, s'immisce entre sous mes ongles. Du bout des doigts je sonde sa matière, douce, froide et parcourue de réseaux veineux. La paroie finit par rompre. Le liquide dans lequel j’étais baigné·e se déverse hors de l'œuf. Au contact de l’air ma peau se durcit. Je frissonne. Du long de ma colonne vertébrale et de mes articulations poussent des écailles. Je sors de la coquille mais suis retenu·e par des filaments visqueux. Je tire dessus, ma peau se détend, s’étire, s’allonge et alors que je continue à avancer les liens se rompent sans un bruit. Ma peau ne se résorbe pas, elle reste détendue autour de mon abdomen. Je la touche, passe ma main en dessous, la tâte, la soulève et l’amène à mon visage. Elle est devenue translucide. Ma main s’enfonce dans cette poche de peau ventrale et j’en devine les contours violacés. Auto-clonage, fatigue post-partum de mon auto-accouchement. Que faire de cet appendice dermique?
Théorie 1
Voici une introduction à la partie théorique. Cette section explore des concepts qui complètent la fiction. Suivez les liens dans la fiction pour revenir ici.